INTERVIEW INEDITE DE FRANQUIN

Publié le par Guilhem

En 1990, nous préparions, avec mon frère Christophe, le numéro 2 de notre fanzine ESQUISSE.
Le premier était sorti quelques mois auparavant et avait connu un bon petit succès d' estime.
Ce numéro 2 s' annonçait du tonnerre !
Nos collaborateurs, Patrick Lacan http://patlacan.over-blog.com/  et Joel Fruchart, avaient demandé à Franquin s' il acceptait d' être interviewé, et celui-ci accepta tout de suite !
Diantre. !
L' interview fut faite, une bonne partie des planches dessinée, mais nous n' arriverons jamais à financer ce deuxième numéro qui ne vit donc jamais le jour.
J' ai retrouvé cet article et les photos de Patrick qui l' accompagnaient, et je me suis dit que c' était bien bête que cela reste dans mes tiroirs.
Je vous le livre tel quel, mais il faut resituer le contexte : Personne dans l' équipe n' avait encore 20 ans, cette interview n' est donc surement pas de tenue professionnelle.
A cette époque Franquin travaillait exclusivement sur les TIFOUS, ce qui explique que la plupart des questions tourne autour de ça.
Le groupe Ampère, aujourd' hui connu sous le nom de Média participations venait de faire son apparition dans le monde de la BD en rachetant dargaud, puis le Lombard, et en affichant sa volonté de remoraliser la BD .....

15h45 . Jeudi 21.
 
Nous arrivons à Bruxelles. Nous n' avons que deux adresses : celle de l' oncle de Belgique et celle d' André Franquin. Nous nous rendons chez le premier afin d' être hébergés pour la nuit. Aucun problème, l' appartement est bien, la fille de notre hôte n' est pas mal non plus. Nous ne jouissons pourtant que du toit.....Dommage .
 
07h15.  Vendredi 22 .
 
Ce n' est pas une heure pour me réveiller, fumier !
C' est à 11H que l' on a rendez-vous.Pauvre Lakan, il a peur d' être en retard chez Dédé.Son teint verdâtre me prouve qu' il ne ment pas.
On part. Pied, métro, bus, pied. On arrive.Il est 10h et il pleut.
Nous sommes devant chez Franquin, Lakan tremble de tous ses membres.
Entre deux soubressauts, il bégaie difficilement "Tu peux pas comprendre, c' est comme si je rencontrais Dieu !" .
Le temps passe, pas la pluie.L' angoisse monte. 10h15 . 10h30. 10h45. 55. 57. 58. 59 .
A 11h précises, nous entrons chez le maestro. IL est là, signant des lithographies, il se lève avec un sourire qui, immédiatement nous rassure.
On boit un bière (belge) .
Sur les murs, je regarde les originaux de quelques jeunes débutants : Giraud, Gillon, Schuitten, etc ....
La discution s' engage ....





ESQUISSE : Quel constat faites-vous face à la BD actuelle ?
FRANQUIN : J' ai un gros défaut, je ne lis plus beaucoup.Je travaille énormément en ce moment, et je n' ai plus le temps de m' occuper des BD des autres. Mais quand j' en lis, je m' intéresse beaucoup plus au dessin qu' au scénario. Je suis donc un très mauvais amateur de BD (rires).
C' est surtout par paresse, en un seul coup d' oeil on voit tout, c' est plus simple ! (rires)
Pour moi la BD passe donc d' abord par le dessin.
Il y a d' ailleurs en ce moment de très bons dessinateurs, réalistes pour la plupart.
A l' époque de Goscinny, quand il était rédacteur en chef, il en avait découvert une multitude : des auteurs comme Mezieres, Moebius sont sortis de chez pilote .
 
ESQUISSE : A propos de la crise ?
FRANQUIN: On parle tout le temps de crise, partout ! Dans le cinéma, la BD ! (rires)
Il y a actuellement une quantité d' albums effrayante !
Ca devient plus difficile pour les jeunes à cause aussi des journaux qui s' arrêtent. Ca pose le problème de la prépublication qui n' existe quasiment plus.
 
ESQUISSE : Il reste tout de même quelques bonnes revues.
FRANQUIN : Ah oui, FLUIDE, SPIROU....
FLUIDE GLACIAL est un bon journal, un des seuls qui reste, c' est vrai.Il a réussi à trouver son public. Mais c' est un humour assez.....bizarre ! (rires)
Moi, j' adorais l' époque Gotlib, mais aujourd' hui, avec Edika c' est de la folie pure ! (rires)
Oui, il reste des choses formidables.
 
ESQUISSE: Si vous vous interressez exclusivement au dessin, pourquoi ne pas avoir choisi un art purement graphique comme la peinture ?
FRANQUIN : Oh, c' est un hasard.... J' avais décidé de vivre du dessin mais je ne savais pas dans quel domaine.
La BD pour jeunes c' était un moyen, par la série, de gagner quelques sous toutes les semaines.
 
ESQUISSE : Et l' illustration ?
FRANQUIN : J' admire ceux qui en font, mais je n' aime pas beaucoup cet exercice.
Tiens, des gens comme Hausman, par exemple, ça c' est un grand artiste ! Il a beaucoup de personnalité, mais c' est un dessinateur difficile à présenter à un éditeur car son dessin demande un travail de déchiffrage.
Ou Follet, aussi....Il n' a pas la vulgarité élémentaire.
Pour tous les deux c' est difficile de bien reproduire leur travail à cause de la quantité de couleurs qui sort très mal à la rotative.
 
ESQUISSE : Question élémentaire provenant de jeunes dessinateurs : Vous auriez des conseils ?
FRANQUIN : Ah oui : Tout d' abord ne pas écouter les conseils des vieux comme moi, car ça ne marcherait pas ! (rires)
Dessiner beaucoup ! De toute façon c' est notre propre personnalité, et notre propre sensibilité qui importent.Le dessinateur se dessine toujours.Pour un jeune c' est devenu très difficile, mais ceux qui doivent percer perceront.
 
ESQUISSE : Avez-vous été touché par l' arrivée du groupe Ampère (actuellement Média participations) dans le monde de la BD ?
FRANQUIN: Oui, ça me pose des inquiétudes, bien sûr....
Je n' ai pas été inquiété personnellement, un vieux comme moi, ils le laissent tranquille ! (rires)
Mais sinon, oui, j' aurais horreur de travailler pour des gens qui ont décidé de reprendre en main la bonne moralité de la bande-dessinée et de la modeler à leur façon. D' ailleurs, j' ai fait mes études chez des petits frères et de bons pères.... Je le regrette...
 
ESQUISSE: Passons aux TIFOUS, le dessin animé sur lequel vous travaillez actuellement. Est-ce la première fois que vous travaillez dans l' animation ?
FRANQUIN: Non, j' avais commencé par ça d' ailleurs , dans une petite boite de dessin animé à Liège. Mais c' étaient des dessins très simplets, avec des gestes complètement saccadés (mimes)....Oh, c' était affreux !
On m' avait bien expliqué qu' il fallait 12 ou 24 images:seconde, mais je n' avais aucune formation.
Ca n' avait aucune qualité, j' ai très vite arreté au bout d' un mois.
Je travaillais là avec PEYO, PAAPE et.... Ah, la mémoire.... MORRIS ! (rires)
J' oubliais le plus important, il ne faudra pas lui dire ! (rires)
 
ESQUISSE: Dans quels pays seront diffusés les TIFOUS ?
FRANQUIN :Ils sortiront à la TV en France, en Belgique, les premiers épisodes sont déja sortis en Suisse. C' est un ensemble de petis scénarios de 4 mn.78 épisodes sont prévus.
 
ESQUISSE: Combien de temps vous prend la préparation d' un épisode ?
FRANQUIN : Oh, c' est difficle à juger, ça dépend ....
On me donne le scénario, je fais les croquis, je m' occupe aussi de la mise en scène.Je crée les personnages, les decors, je fais les modèles de base, quoi,  Puis je donne tout cela aux dessinateurs qui vont simplifier, pour ne pas dire massacrer (rires) les dessins et s' occuper de l' animation.
 
ESQUISSE: Approuvez-vous la publication de vos croquis dans SPIROU MAGAZIIIIIIINE ?
FRANQUIN: Non, c' est illisble, je râle beaucoup !
En revanche j' attends beaucoup d' un bouquin avec Léturgie qui va sortir, et qui va raconter toute cette mise en oeuvre... Oui, je crois que ce sera bien !
Dans le dessin animé, en fait, c' est le début que l' on craint beaucoup. C' est une période difficile celle de la première animation, du premier épisode.
Ensuite ça s' améliore....Enfin, j' espère ! (rires)
Mais c' est toujours une surprise de voir ce que vos collaborateurs ont fait de vos dessins !
 
ESQUISSE: Ce n' est pas vous qui les choisissez ?
FRANQUIN: Ah nooooon, moi j' ai juste un droit de regard ! Ce n' est pas moi qui engage ! (rires)
 
ESQUISSE: D' ou vient l' idée de ce dessin animé ?
FRANQUIN : Elle n' est pas de moi. J' ai un ami en Suisse qui travaille beaucoup pour la télévision, et il avait envie de faire des petits fims avec des petits personnages pour la TV Suisse. Il m' en a parlé, on a réfléchi, et il s' est avére que seul le dessin animé pouvait rendre cela.
On a rencontré d' autres personnes, et, de fil en aiguille, le projet a grossi et a pris de très grandes proportions.
Et voilà, en fait je me retrouve embarqué là dedans par hasard ! (rires)
 
Propos recueillis par Patrick Lacan et Joel Fruchart


Publié dans Anecdote

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J
<br /> Sympa de voir que le site revit. Bientôt du Zarla, alors?<br /> <br /> <br />
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F
<br /> Merci pour cette interview.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Merci pour ce cadeau! et vous avez eu une dédicace du maitre!!!!! quel chanceux vous êtes de l'avoir rencontré! ou en est zarla 3?<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Hé non, Joel, moi je n' ai jamais rencontré Franquin, hélas.<br /> Ce sont mes copains Patrick et Joel qui étaient partis à sa rencontre, et j' en étais bien jaloux !<br /> J' attaque la dernière partie de Zarla 3, mais il y a encore du boulot !<br /> Je vais essayer de vous montrer quelques extraits d' ici peu.<br /> Merci pour ton message et à bientôt.<br /> <br /> <br />
F
<br /> <br /> Merci pour cet article émouvant. J'ai eu l'occasion de rencontrer Franquin à l'occasion du festival BD de Grenoble, pour la sortie de "Mars le noir". On a bien sûr peu parlé (3h d'attente, et<br /> beaucoup de monde attendait derrière moi) mais cela reste un souvenir émouvant...<br /> <br /> <br /> <br />
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